Guerre en RDC : retour vers la « basse intensité » ? 

Tandis qu’une nouvelle localité du Nord-Kivu, Walikale, est tombée aux mains du M23, la diplomatie du président congolais enchaîne les épisodes à rebondissements. Le dernier en date : une réunion au Qatar, organisée dans le plus grand secret, entre Kagame et Tshisekedi. A l’issue du sommet entre les deux premiers acteurs de l’interminable martyr de la milliardaire RDC, rien de tonitruant. Sinon l’annonce d’un « cessez-le-feu immédiat »… sans effet « immédiat » sur le terrain où meurtres et viols se poursuivent. Seules notes d’espoir : des sanctions contre le Rwanda de Kagame ainsi que l’infatigable détermination de la diaspora congolaise. Au sein de ce mouvement, Finkape Roots a interviewé Brenda Odimba (Free Congo) et Jean-Paul Shungu (Acolux).

Tombée sous la coupe du M23, le 19 février, Walikale est une localité qui se situe à 400 kilomètres de Kisangani. Soit la cinquième ville de la RDC, en termes démographiques. Avec plus d’un million trois cents mille habitants, Kisangani sera peut-être le prochain objectif du M23-AFC (Alliance Fleuve Congo) et de ses renforts rwandais, que rien n’arrête ni ne ralentit, dans leur progression colonisatrice.

A Goma, chef-lieu du Nord-Kivu (sous occupation du M23 depuis le 24 janvier), Msg Willy Ngumbi exprime la même crainte. Dans un message, envoyé le lendemain de l’arrivée du M23, l’évêque congolais écrit : 

« Depuis hier 18h00, les troupes de M23 sont arrivées au presbytère de la paroisse de Walikale. Les prêtres qui se cachaient sous les lits sont sortis pour aller à leur rencontre. La conversation s’est bien passée. Les nouveaux maîtres ont demandé aux familles qui s’étaient réfugiées à la paroisse d’aller vaquer à leurs activités. Ceux qui les intéressent, ont-ils dit, sont les militaires et les Wazalendo [milices et guerriers traditionnels favorables au pouvoir central de Kinshasa] ».

Et Willy Ngumbi de conclure : « Walikale est la dernière paroisse de mon diocèse qui n’était pas encore occupée par le M23. Maintenant, je suis responsable d’un diocèse entièrement sous occupation. Par ailleurs, c’est une route entretenue par les miniers qui sépare les 400 kms entre Walikale et Kisangani. Avec des troupes qui ont des jeeps 4×4 prises à nos FARDC, lors de la chute de Goma, je crains beaucoup pour Kisangani. »

Doha : virage diplomatique ou répit stratégique ?

A plus de 6000 kilomètres du Congo, à Doha, la capitale du Qatar, l’émir Tamim Ben Hamad al-Thani chargeait ses services de diffuser, le 18 mars sur X, une photo retentissante. Celle où il figure, en médiateur tout sourire, entre Paul Kagame et Félix Tshisekedi… Pendant que les observateurs scrutaient les délégations des deux chefs d’État à Luanda (capitale de l’Angola), pour un énième sommet n’annonçant rien de bon et auquel s’était décommandée la délégation du M23.

Prenant tout le monde de court, le visuel numérique a aussi constitué un camouflet pour le médiateur angolais, João Lourenço, « travaillant », à l’évidence, fort maladroitement sous l’égide de l’Union Africaine. 

De son côté, le communiqué qatari précise que « les chefs d’État ont réaffirmé l’engagement de toutes les parties en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel ». Promettant ensuite un « engagement commun en faveur d’un avenir sûr et stable pour la République Démocratique du Congo et la région », riche en ressources et minerais stratégiques. Ne faisant aucune mention du M23-AFC ni de sa « défense » des populations tutsies « opprimées à l’Est de la RDC », le communiqué conclut sur « la nécessité de poursuivre les discussions entamées à Doha afin d’établir des bases solides pour une paix durable ».

A la surprise générale, les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame ont discuté à Doha, sous la médiation de l'émir qatari Tamim Ben Hamad al-Thani.

Spectaculaire et regain d’espoir diplomatique, cette rencontre inédite entre les deux présidents africains pourrait se révéler un nouvel écran de fumée. Comme il y en a eu tant, depuis 30 ans, à l’Est ensanglanté de la RDC… En effet, huit jours après son annonce, aucun élément concret n’est venu crédibiliser la viabilité pratique du fameux « cessez-le-feu » ; soulignons que ses trois auteurs, qatari, congolais et rwandais, ont verrouillé toute possibilité d’en savoir davantage…

Bref, un cessez-le-feu « aux contours flous » qui conduit le Docteur en sciences politiques Dede Watchiba à s’interroger : « Quelle est la portée réelle de cet engagement alors qu’aucun mécanisme de suivi ou de vérification n’a été mentionné ? Rien ne garantit que les rebelles du M23, principaux belligérants sur le terrain, respecteront cet engagement. Enfin, quels sont les engagements concrets du Rwanda ? Kigali a toujours nié son soutien au M23, et un cessez-le-feu entre États n’a de sens que si le Rwanda reconnaît officiellement son implication, ce qui n’est pas le cas. » 

En cascade, le professeur n’écarte pas l’hypothèse selon laquelle la nouvelle donne « pourrait n’être qu’un outil tactique permettant au Rwanda de temporiser, notamment pour atténuer la pression diplomatique croissante suite aux sanctions européennes. »

Et Dede Watchiba d’estimer que le gouvernant congolais « doit éviter de tomber dans le piège d’un simple effet d’annonce et exiger des garanties concrètes quant à la mise en œuvre du cessez-le-feu. Par ailleurs, l’Union africaine doit redéfinir son rôle pour éviter d’être marginalisée par des initiatives parallèles […] Cet accord de Doha est-il un véritable tournant vers la paix ou une simple trêve stratégique destinée à redéfinir les rapports de force sur le terrain ? Seul l’avenir nous le dira. »

Dede Watchiba, Docteur et professeur en sciences politiques.

Sanctions européennes

Le 17 mars, à Bruxelles, les 27 ministres des Affaires Etrangères de l’Union Européenne (UE) ont enfin adopté, à l’unanimité, des sanctions contre neuf personnes ainsi qu’une entité minière liées au Rwanda. 

Les individus visés, dont, entre autres, les avoirs financiers en Europe ont été gelés, sont cinq militaires rwandais et quatre Congolais du M23. Parmi les Rwandais : Ruzi Karusisi (commandant des forces spéciales rwandaises), Désire Rukomera (chargé du recrutement et de la propagande pour le M23) ou encore Eugène Nkubito (commandant au sein des RDF – Rwanda Defense Forces). Parmi les Congolais : Bertrand Bisimwa (coordinateur-adjoint du M23-AFC), John Nzenze (responsable renseignements du M23) ou encore Jean Bosco Nzabonimpa (responsable finances du M23).

Selon les dirigeants européens, les neuf sont responsables « de violations graves des droits de l’homme et de la poursuite du conflit, de l’insécurité, de l’instabilité dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC)». Également sanctionnée, l’entreprise Gasabo Gold Refinery est accusée « d’extraction et de raffinage illégaux d’or congolais » exporté vers le Rwanda. Des sanctions et accusations européennes jugées « sans fondement » par les Autorités de Kigali.

Selon Brenda Odimba, porte-parole du collectif belge Free Congo – qui se mobilise chaque lundi devant les bâtiments de l’UE depuis près de 2 mois -, ces sanctions constituent « une petite avancée qui montre que l’activisme de la diaspora congolaise, au sens large, porte ses fruits ». Néanmoins, l’activiste bruxelloise estime que « nous sommes encore loin de la prise en compte par l’UE des revendications que nous défendons. Sur le terrain, à l’Est du Congo, ces sanctions individuelles auront un impact limité voire inexistant. »

Agenouillée, le poing lévé, à gauche, Brenda Odimba, porte-parole du collectif Free Congo.

Sur la même longueur d’ondes, Jean-Paul Shungu, le président d’Acolux (Association des Congolais du Luxembourg), se réjouit rapidement des sanctions européennes pour mieux souligner une absence :
«
Nous sommes surpris que le Conseil ne soit pas revenu sur la suspension du Mémorandum portant la commercialisation des minerais stratégiques ».

En effet, le 17 mars, le Conseil européen n’a pas dit un mot sur ce protocole d’accord, signé entre la Commission européenne et le Rwanda, qui vise à commercialiser les minerais stratégiques (cobalt, coltan, nickel ou tungstène). 

« Lors de sa précédente réunion [24 février 2025], ce point essentiel avait été reporté avec les sanctions », poursuit le président d’Acolux. « Maintenant que ces dernières ont été prises, nous restons surpris que le
Conseil n’ait pas du tout parlé du MOU
[Memorandum Of Understanding on Sunstainable Raws Material Chains = « Protocole d’entente sur les chaînes de valeurs des matières premières durables »], plus que dérangeant, car il s’agit d’un commerce de minerais stratégiques avec le Rwanda, un pays reconnu par les Nations-Unies comme soutenant le M23 et violant le Droit international.
»

Suite au report des sanctions contre le Rwanda, le 24 février dernier, les instances européennes ont annoncé « reconsidérer » leur protocole d’accord sur les minerais. A l’heure d’écrire ces lignes, le MOU n’est donc pas « suspendu » et encore moins « annulé », comme le réclame, notamment, Free Congo

« Basé à Bruxelles, notre collectif veut interpeller la responsabilité des puissances étrangères dans la guerre à l’Est de la RDC », précise Brenda Odimba. « Dans cette perspective, nous dénonçons bien sûr les agressions militaires du Rwanda et de l’Ouganda contre la RDC, mais l’un de nos objectifs prioritaires est d’obtenir l’annulation du protocole minier UE-Rwanda, qui encourage Kagame et son régime à piller les minerais congolais via des milices comme le M23, auteures de massacres et viols systémiques depuis des décennies ».

 

Jean-Paul Shungu, président de l'association Acolux

Le Luxembourg revient-il du « bon côté de l’Histoire » ?

Récemment, le Parlement du Grand-duché a condamné le Rwanda et demandé des sanctions économiques contre ce pays. A cet égard, Jean-Paul Shungu nous confirme le « tollé général dans la presse » luxembourgeoise suite au refus du ministre Xavier Bettel de voter lesdites sanctions, reportant
ainsi la décision punitive, devant être votée à l’unanimité des 27 pays-membres.  

« S’il y avait des Luxembourgeois qui ignoraient tout du dossier RDC-Rwanda, ce n’est plus le cas aujourd’hui », ajoute Jean-Paul Shungu. « Ce refus incompréhensible du ministre a placé négativement le Luxembourg sur la carte du monde. En tant que Congolais vivant au Luxembourg, ses ‘arguments’ étaient choquants ! Depuis janvier, on estime qu’il y a eu plus de 7000 morts à l’Est de la RDC et ce ministre souhaite reporter des sanctions UE parce qu’il voulait attendre les résultats d’une réunion africaine [qui n’a jamais eu lieu] … Dire cela à des personnes qui sont en train de mourir, c’était totalement inaudible ! Personne n’a compris ses motivations ».

Et si lesdites « motivations » étaient purement mercantiles ? Au détriment de sauver des vies congolaises, Xavier Bettel aurait d’abord voulu protéger la rentabilité continuité de projets financiers luxo-rwandais tel que le Kigali Financial Center ? Au son de cette désagréable hypothèse, Shungu se montre prudent : « Oui, les deux pays travaillent à la mise en œuvre d’une place financière à Kigali. Oui, le Luxembourg a signé avec le Rwanda plusieurs accords financiers et de développement. Mais comme l’Allemagne, la Belgique ou l’Angleterre. Or, ceux-ci ont fini par voter des sanctions contre le Rwanda, le 24 février. Pas le Luxembourg ! Et c’est « là », la surprise. Je dirais même : un mystère. Jusqu’à aujourd’hui, ce mystère perdure. »

Un « mystère » qui contamine jusqu’à… l’Exécutif luxembourgeois. En effet, interpellé sur la guerre en RDC par le Parlement, le gouvernement du Premier ministre Luc Frieden (CSV) n’a toujours pas pris attitude officielle. S’il fallait encore une preuve que le Congo n’est pas l’Ukraine… 

« En tant que citoyens du Luxembourg, nous voulons que notre gouvernement prenne une position claire dans ce dossier », s’irrite Jean-Paul Shungu. « Comme l’ont fait la Belgique, l’Allemagne, l’Angleterre, les Etats-Unis ou les Nations-Unies. Certes, le parlement luxembourgeois a pris une motion mais encore faut-il que le gouvernement l’acte, en prenant une position claire. Ce n’est toujours pas le cas. »,

Terrible contraste 

D’où que l’on se place pour analyser la « problématique RDC », un contraste saute aux yeux. Celui qui existe entre l’intensité des efforts pour mettre fin aux combats et la poursuite inexorable d’un génocide, vieux de plus de 30 ans, s’appuyant sur des massacres de masse, le viol systémique ou l’enrôlement forcé de jeunes congolais dans les milices. Le cœur nucléaire de ce cercle vicieux ? Les 24.000 milliards de dollars estimés que renferme le sous-sol congolais. Un « scandale géologique », pour reprendre la célèbre formule néocoloniale européenne, convoité par toutes les puissances capitalistes en concurrence impérialiste.      

Tandis que certains dirigeants de pays occidentaux – bien plus impliqués qu’ils ne l’avouent – , et plus particulièrement les Belges – héritiers de la colonisation du Congo, du Rwanda et du Burundi -, semblent saisir que le « drame congolais » n’est plus soutenable aux yeux de leur opinion publique, les « calculs stratégiques » se poursuivent. Ce que confirme le surgissement du Qatar qui, à son tour, cherche à préserver, en RDC comme au Rwanda, ses intérêts économiques d’acteur montant sur le marché mondial de l’énergie et des ressources.

Face à ces repères immuables de « real politik », les activistes Odimba et Shungu ne désarment pas. Et semblent même persuadés de leur victoire finale ; de l’arrêt de la guerre en RDC pour les minerais et la domination régionale au cœur de l’Afrique.  

« Apolitique, Acolux intervient surtout pour interpeller les Autorités luxembourgeoises sur trois choses », résume Jean-Paul Shungu. « 1) Prendre des mesures pour contribuer à mettre fin à la guerre à l’Est du Congo. 2) Intervenir de façon urgente au niveau humanitaire. 3) Contribuer à traduire en justice tous les responsables de crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. »

Victime "lente" du génocide congolais, ce jeune "creuseur", au salaire d'esclave, possède une espérance de vie gravement réduite, à cause des risques d'accidents et de la pollution abominable avec lesquels il creuse, pour trouver les "minerais stratégiques" destinés à la fabrication de nos ordinateurs et téléphones.

Idem pour Brenda Odimba : « Tant que ce protocole minier UE-Rwanda ne sera pas annulé ; tant qu’il n’y aura pas d’embargo sur les armes ; tant que l’Est de la RDC sera abandonné sur le plan humanitaire, nous continuerons nos actions ! En tant que citoyens européens – d’origine congolaise ou non -, nous avons le droit d’exiger que nos impôts ne servent pas au pillage des minerais mais, par exemple, à mettre en place et assurer un corridor humanitaire à l’Est de la RDC ».  

Idéalisme activiste ? Sans doute, en partie. Pour autant, cette fois-ci, en 2025, existe-t-il une chance sur dix pour qu’au Congo la guerre s’arrête enfin ?

« Vous savez, je suis surpris par la réelle mobilisation des Congolaises et Congolais à travers le monde », répond solennellement Jean-Paul Shungu. 

« Oui, cela fait 31 ans que ça dure… Mais même ici, dans le petit Luxembourg, je n’ai jamais participé à autant de manifs en soutien à la paix en RDC. Avec cette mobilisation mondiale, nous allons arriver à quelque chose. C’est-à-dire : à la fin du conflit et à pouvoir secourir nos victimes. S’ajoutent les effets des différentes sanctions qui vont contribuer à ce que la roue tourne. Sur les urgences du court terme, nous allons y arriver ! Après cette victoire obtenue, il est certain qu’il faudra repenser les choses à moyen et long terme. »  


Olivier Mukuna 
© Finkape Roots

Diplômé d’un Master en Journalisme et Communication de l’Université Libre de Bruxelles (ULB, 1997), le journaliste et essayiste Olivier Mukuna a travaillé pour une quinzaine de médias belges, français et luxembourgeois et signé plusieurs productions audiovisuelles. Il est spécialisé dans les thématiques liées au racisme systémique, aux questions décoloniales et à l’actualité sociopolitique des citoyens afro-descendants en Europe.

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