Encore un papier sur la condamnation « historique » de Nicolas Sarkozy à de la prison ferme ?! Oui,...

Lancé le 24 juillet par Emmanuel Macron, l’élan diplomatique européen autour de la Palestine a été suivi. Au moins 15 pays, dont le Luxembourg, se sont engagés à consacrer le droit des Palestiniens à avoir un Etat. So what ? Quelle reconnaissance étatique a déjà stoppé un génocide ? Arrêter la famine, les drones ou les snipers sous contrôle d’un Premier ministre ivre d’impunité et de « guerre sans fin » ? Entretien avec Martine Kleinberg, militante pour la paix entre Palestiniens et Israéliens depuis 2003, cofondatrice et présidente de Jewish Call for Peace.
Finkape Roots : Quelle est la position du Luxembourg concernant la future reconnaissance de l’Etat palestinien ? Propose-t-il une reconnaissance assortie de conditions ? Et, dans l’affirmative, lesquelles ?
Martine Kleinberg : La position du Luxembourg n’est ni courageuse ni originale. En juin 2024, lors du débat citoyen à la Chambre des députés réclamant la reconnaissance comme mesure de préservation du peuple palestinien, le ministre Xavier Bettel [1] avait annoncé « une solution à la luxembourgeoise » d’ici la fin 2024. On l’attend toujours…
Partout dans le monde, les citoyens font pression sur leur gouvernement. Au Luxembourg, les Collectives4Palestine, dont Jewish Call for Peace fait partie, ne lâchent rien non plus, manifestant chaque samedi, et organisant toutes sortes d’action, parfois tous les jours de la semaine.
Cette pression et l’horreur de la famine organisée par Israël à Gaza, finissent par faire bouger les lignes : ainsi M. Bettel dit que le Luxembourg « a aujourd’hui la tendance positive de vouloir faire cette marche et de reconnaître l’État de Palestine en septembre », lors de l’Assemblée générale des Nations-Unies à New York. « La tendance » … quelle prudence.
Du côté des conditions, ce n’est pas tendancieux : c’est confus. M. Bettel a parfois dit qu’elles sont remplies, car l’Autorité palestinienne s’est engagée à certaines réformes dont la révision des manuels scolaires pour « déradicaliser » les écoles…
On croit rêver ! Il y a un génocide qui se déroule en direct, près de 20 000 enfants palestiniens ont été assassinés, les écoles de la bande de Gaza ont été rasées et M. Bettel parle de manuels scolaires… La déradicalisation, c’est du côté israélien qu’elle urge ! Et ce sont des ONG israéliennes des droits humains qui le crient haut et fort.
Enfin, M. Bettel élargit les exigences à la démilitarisation du Hamas. Là franchement, on se demande ce que fait Israël depuis le 8 octobre 2023 : le Hamas n’est toujours pas démilitarisé ? 63 000 tués directs, pour … rien ?

Finkape Roots : La Belgique freine des quatre fers pour reconnaître l’Etat de Palestine. L’aile droite du gouvernement belge s’y refuse jugeant qu’une telle reconnaissance « ne sert à rien » et ferait « le jeu du Hamas ». Qu’en pensez-vous ?
Martine Kleinberg : Je suis partagée sur la réponse à vous donner. Concernant l’affirmation que la reconnaissance de l’État de Palestine par des pays comme la Belgique ou le Luxembourg ferait le jeu du Hamas : c’est ridicule. Reconnaître l’État de Palestine n’est pas une faveur, c’est un droit ; un droit qui aurait dû être réalisé au moins au moment des accords d’Oslo en 1992-1995. Si cela avait été fait, on n’en serait peut-être pas là aujourd’hui…
Dire que cela ferait le jeu du Hamas, c’est tout simplement reprendre le discours israélien. Si la reconnaissance de l’Etat palestinien avait eu lieu le 8 octobre 2023, cela aurait ressemblé à un cadeau fait au Hamas. Mais il est question de réaliser cette reconnaissance après bientôt 2 ans de massacre de masse sans aucune distinction entre civils et combattants.
Les Palestiniens ont été chassés de leurs terres en 1948-1949 et ce qui devait devenir un futur État palestinien est sous occupation depuis 1967.
Que faut-il encore attendre ?
Concernant l’idée que cela « ne sert à rien » … Disons plutôt qu’il y a un sacré temps de retard. Et ce n’est pas cette reconnaissance, par des États occidentaux [2], qui fera cesser la destruction de Gaza et l’annexion en cours de la Cisjordanie où la vie des Palestiniens devient chaque jour davantage un enfer.
Oui, sur le long terme, il importe que les États occidentaux, partenaires privilégiés d’Israël, s’engagent à rendre possible la création d’un État palestinien ou d’un État dans lequel les Palestiniens auront les mêmes droits que les autres habitants. A court terme…

Finkape Roots : Au-delà de sa force symbolique, cette reconnaissance occidentale ne répond pas à l’urgence : personne ne mange à sa faim ou évite les drones avec une reconnaissance étatique… Que pensez-vous de la Tribune de M.M. Barnavi et Lemire qui implore le président français de sanctionner Israël pour arrêter la famine à Gaza, faute de quoi, écrivent-ils, ce sera « un cimetière » que la France reconnaîtra le 21 septembre à l’ONU ?
Martine Kleinberg : Sans soupçonner de cynisme chaque annonce officielle de nos gouvernements, il est à craindre que cette agitation soudaine autour de la reconnaissance de l’État de Palestine ne soit au final que de la poudre aux yeux, de la poudre aux yeux des citoyens français, belges luxembourgeois, britanniques qui ne cessent d’exiger la fin des compromissions, voire de la complicité avec des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Elie Barnavi, historien et ancien diplomate israélien, connait très bien sa société, Vincent Lemire a une fine connaissance du conflit israélo-palestinien : si l’on veut mettre fin aux profondes et infinies souffrances des Gazaouis et éviter que se reproduise en Cisjordanie une politique très similaire, oui, il faut des actions, des pressions, des sanctions, des mesures, appelez cela comme vous voulez, aux niveaux tant diplomatique, qu’économique ou financier.
C’était l’objet de l’appel « Gaza meurt : nous vous demandons d’agir ! » que Jewish Call for Peace a initié en juin 2025, avec le soutien de nombreuses personnalités publiques du Luxembourg, comme l’actrice Vicky Krieps. C’était aussi le sens de la lettre signée par 50 ONG ayant répondu à l’appel d’Amnesty Luxembourg.
C’est ce que nous avons demandé lors du débat à la Chambre des députés, le 2 juillet dernier, en fournissant au gouvernement luxembourgeois une liste de mesures qu’il peut prendre tant au plan national qu’européen.
Voici la réponse qu’on a reçue du gouvernement, représenté par M. Bettel : « On va réfléchir à la légalité de sanctions nationales d’ici … la fin de l’année ». Nos dirigeants ne sont pas à la hauteur : ni de la crise humanitaire à Gaza, ni de la crise démocratique ici. Nous allons en payer longtemps le prix…

Finkape Roots : « La solution à 2 Etats » revient dans les débats européens mais, sur le terrain, semble plus impraticable que jamais. Selon vous, cette « solution » relève-t-elle du mirage rassurant ou de la seule alternative à même d’en finir avec 77 ans de guerres au Proche-Orient ?
Martine Kleinberg : Deux États ? Mais pour faire un État, il faut des terres et des frontières. Or, Israël contrôle et colonise les terres palestiniennes et toutes les ressources qui y sont attachées et a supprimé de facto les frontières.
J’ai du mal à imaginer le Frederik de Klerk [3] israélien qui saurait rapatrier tous les colons et faire accepter une souveraineté palestinienne voisine. J’ai aussi aujourd’hui du mal à imaginer un de Klerk israélien et un Mandela palestinien créant une démocratie commune, sous forme, par exemple, de confédération comme y aspire l’initiative israélo-palestinienne « A Land for All ». Comment vaincre la haine après autant d’atrocités ?
Je rêve que des associations israélo-palestiniennes comme The Parents Circle ou Combatants for Peace fassent demain de nombreux émules… Mais il faudra des leaders courageux et sincèrement épris de paix et de respect réciproque pour réussir à ouvrir un tout nouveau chapitre de l’histoire. Sont-ils nés, sont-elles nées ?
Finkape Roots : Le Luxembourg doit-il sanctionner Israël ? Par exemple : en plaidant pour annuler l’accord UE-Israël, comme y est favorable Joseph Borrell, ancien chef de la diplomatie européenne, qui estime que « c’est le seul langage qui puisse amener les dirigeants israéliens à cesser de commettre des crimes contre l’humanité »…
Martine Kleinberg : Le Luxembourg a fait partie du groupe des pays européens qui ont demandé l’examen du respect de l’article 2 de l’accord d’association UE-Israël, qui porte sur les droits humains. Examen qui – oh surprise – a révélé qu’Israël enfreint ses obligations en matière de droits humains.
Mais on le sait, il suffit de peu de pays pour bloquer des décisions même limitées, aussi quand la majorité qualifiée suffit. C’est pourquoi des pays ont déjà pris l’initiative de mesures nationales et c’est là-dessus que nous avons insisté.
Il serait, par exemple, très simple et très cohérent de fermer (au moins provisoirement) le Luxemburg Investment and Trade Office à Tel-Aviv. Des députés ont repris cette proposition sous forme de motion, mais elle a été rejetée avec des arguments risibles, notamment celui qu’Israël serait la seule démocratie dans la région.
Voilà qui est intéressant : parce qu’un pays serait une démocratie (en l’occurrence, cela en est une… pour les juifs), il pourrait tout se permettre ? J’ai toujours cru le contraire. Et que dire du fait que des entreprises luxembourgeoises continuent à livrer des armes à Israël … alors que la Slovénie, État membre de l’UE, vient d’interdire tout commerce de matériel militaire avec Israël.
Quand on veut, on peut. Entre intérêts économiques bien compris et lâcheté bien partagée (peur de Trump ou du chantage à l’antisémitisme), nos dirigeants ne nous ressemblent pas…
Propos recueillis par Olivier Mukuna
© Finkape Roots
Notes :
1] Vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, du Commerce extérieur, de la Coopération et de l’Action humanitaire. Voyez le mélange des genres : le commerce extérieur avec les Affaires étrangères et l’aide humanitaire…
2] 148 pays membres de l’ONU reconnaissent déjà officiellement l’État de Palestine, soit près de 77 % des États membres.
3] Frederik Willem de Klerk, homme politique sud-africain blanc, a mis fin au régime d’apartheid en libérant sans conditions Nelson Mandela en 1990 et en entamant un processus de transition vers une Afrique du Sud démocratique.

Diplômé d’un Master en Journalisme et Communication de l’Université Libre de Bruxelles (ULB, 1997), le journaliste et essayiste Olivier Mukuna a travaillé pour une quinzaine de médias belges, français et luxembourgeois et signé plusieurs productions audiovisuelles. Il est spécialisé dans les thématiques liées au racisme systémique, aux questions décoloniales et à l’actualité sociopolitique des citoyens afro-descendants en Europe.
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Gaza : l’obligation européenne d’agir
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